lundi 8 août 2022

L'inquiétante étrangete deuxième série (2). La vulgarité des fleurs*


 


(Suite) « Les  fleurs bleues », on sait … quoi de plus banal ? Même avec les fleurs on cherche à se distinguer**. On se distingue à la manière de Des Esseintes, le personnage de Joris-Karl Huysmans qui savait se démarquer des  « fleurophiles » ordinaires. On se distingue à la manière des Tyroliens qui mettent des fleurs à leurs balcons pour se différencier de leurs voisins qui ne les mettent pas. Moi, pour me distinguer, je snobais les roses. Aimer les roses me paraissait trop banal,  une tautologie : « Ah tu aimes les roses ? Ah tiens, il aime les roses celui-ci … Ah bravo. Voilà qui est original ». 

Mais alors, s’il y avait une fleur que je détestais vraiment, c’était le géranium.  Sa tige grassouillette et dégarnie me paraissait déplorable. La couleur de ses pétales trop nette, sans nuances. Je tolérais à peine, éventuellement, le géranium lierre (Pelargonium peltatum), avec plus de verdure et des feuilles en cascade.  Bref, j’étais gonflé. On l’est souvent à l’adolescence, quand on a besoin de montrer sa singularité, de prouver que l’on a un point de vue sur le monde et ses hiérarchies.

Plus tard j’ai changé. Quant aux roses, j’ai fini par reconnaître leur charme objectif. Inutile de faire le petit malin : elles sont très belles et basta. Je rejoignais sur ce point l’opinion de Johann Joachim Winckelmann autour  de l’existence d’une beauté universelle, transculturelle, dont tout le monde saisit l’autorité. En réalité, je crois que mon intérêt (relatif) pour les roses  a démarré avec la disparition de ma mère. Elle était morte, mais les roses étaient encore là. Tout comme sa maison. J’ai commencé par déplacer un rosier qui languissait. Installé dans un gros pot sous le toit, il ne bénéficiait pas de la pluie et il fallait l'arroser sans arrêt (« Maman, mais quand-même, tu aurais pu lui trouver un endroit plus propice … »). Après, ça a été le tour d’une rose jaune qui n’avait aucun problème ou presque. (À suivre)

* Il ne faut pas employer ce mot, je sais. J'y mets plein de guillemets.

** Et ce ne sont pas Pierre Bourdieu ou Jack Goody qui auraient dit le contraire.

4 commentaires:

  1. On parle de « sens commun » ou de « bon sens (paysan) » pour une approche rationnelle des choses, peu inventive peut-être, mais bien frottée au réel, dont la valeur est admise.
    Pour ce qui relève du discernement esthétique, les « élites »* (les adolescents se sentant particulièrement supérieurs) sont beaucoup plus jalouses de leur pré carré. Et le « goût commun » devient quant à lui synonyme de « mauvais goût ».
    Et encore une fois, ce n’est pas très innovant de trouver que les roses sont belles, mais c’est bien vrai, ce n'est pas une faute de goût.

    *les pages 12 à 14 de « l’avenir d’une illusion » de Sigmund Freud (qui fait son Karl Marx), décrivent cette séparation inéluctable dans une société basée sur l’exploitation d’une majorité par une minorité.

    Armelle Sêpa

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  2. Et ma carte postale, comment la trouvez-vous?

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  3. Justement, pour éviter de trop m’étaler, je me suis abstenue de parler du kitsch esthétique ( dans son acception la plus répandue).
    Je trouve que dans ce domaine, le public «  averti », tout en le récupérant, est particulièrement condescendant et pathétique.
    Oui, on décore son réfrigérateur avec une reine d’Angleterre qui salue la foule, mais c’est un pied de nez au conservatisme du monde bourgeois (dont on est issu(e) ou dont on connait parfaitement les codes, on est ÉVIDEMMENT d’ un goût sûrissime.
    Rien à voir avec les ringards qui eux, trouvent ça beau, les nains de jardin.
    Je pense d’ailleurs, hors de toute considération esthétique que ces représentations à la lisière du fantastique ont un sens profond. On les retrouve dans des fresques dessinées sur de grandes maisons assez cossues des rives du lac de Constance, par exemple.

    (Pour le commentaire précédent : Freud, éditions PUF quadrige)

    Armelle Sêpa

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  4. Pour être honnête, je suis moi-même concernée par cette critique.
    Armelle Sêpa.

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