mardi 16 août 2022

L’inquiétante étrangeté deuxième séssion (6). Le murier, la Wilderness et le mythe

 


Cette histoire de géraniums flambant neufs qui ne sauraient pas remplacer ceux de l'année précédente me fait penser au lien entre la Wilderness et le mythe. Ce qui fait le charme d’une plante sauvage est, en quelque sorte, son intemporalité. Personne ne l’a manipulée. Elle reproduit à l’identique le modèle archétypal. Plus la plante de notre jardin s’éloigne du moment inaugural de sa plantation, plus son mythisme augmente. C’est ainsi que les plantes les plus anciennes deviennent à leur façon « intemporelles », donc « sauvages ». C’est un paradoxe : bien que gorgées d’histoire (et à cause de ça, justement), elles quittent le temps historique pour rejoindre le temps du mythe. Le mythe, comme le dit Roland Barthes, « naturalise » :  il rend naturel ce qui est de l'ordre de l'histoire. C’est le cas du murier qui déploie ses ramures au sommet de mon jardin.

Des muriers, moi, je n'aime que les fruits. Ce murier-ci n’en a jamais fait un seul. Il est apparu soudainement, sans besoin de notre intervention, à une époque où je n’étais pas là.  Mon père y tenait et on a décidé de le garder. Tous les ans je lui faisais une coupe « à la Yul Brynner »*.  Ça se pratiquait normalement, dans le passé, pour nourrir les vers à soie qui raffolent des feuilles de cet arbre chinois.  Depuis quelques temps j’ai laissé tomber. Sa chaume a pris un espace disproportionné et il faudra bientôt intervenir. Je ne sais pourquoi, il me fait penser aux géraniums de l’époque où je n'aimais pas les géraniums. Je l’associe aussi au caniche royal (la tonte périodique, vraisemblablement) et je l’aurais remplacé volontiers avec une espèce plus élancée. 

Pourquoi mon père y tenait ? J’ai une réponse farfelue : par atavisme. On dit que mes arrière grands parents possédaient une filature dans la campagne véronaise pour le tissage de la soie. Un fils dégénéré aurait perdu cette filature au jeu. Ce n'est qu'une  légende, peut-être, mais qui contribue largement au mythisme de mon murier.

 

* Comme on suggérait à mon coiffeur qui, en suivant la consigne, me tondait la boule à zéro.

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