vendredi 12 août 2022

L’inquiétante étrangeté deuxième session (4). Un vrai mec n’aime pas les fleurs


Puisque, à l’instar de ma mère, je n’ai pratiquement rien à dire sur les autres roses, je reviens aux géraniums. Pourquoi les trouvais-je « vulgaires » ? En raison de leur popularité, je pense. C’est comme pour les moules. Si elles étaient rares elles coûteraient une fortune tellement elles sont excellentes. À l’époque de mon antipathie pour les géraniums, nous avions cherché à acclimater, sous mon influence de jeune bovaryste*, un hibiscus et une bougainvillée qui ne firent pas long feu. Aujourd’hui, j’interprète  cette initiative comme de l’exotisme kitch et prétentieux. Oui, parce que ce n’était pas les géraniums qui étaient kitch, c’était ces fleurs surprenantes, parfaitement hors contexte, aimées par les  frimeurs narcissiques (« Moi je flamboie comme un hibiscus, mon pauvre,  alors que toi, tu n’es qu’un banal géranium ») et par les fauteurs d’invasions biologiques.

Je dois avouer que mon idéal jardinier, au départ, ne prévoyait pas de fleurs. Je ne pensais qu’au  vert dans ses différentes gradations. La domus à la maison - c’est une tautologie -  et la Wilderness dans le jardin. Et la Wilderness, pour moi, était verte. Un jour l’Agnese, qui travaillait chez nous, est arrivée avec des bulbes de je ne sais quelle plante fleurie (Dalias, Pétunias ...). Je lui ai fait mes remontrances. Elle m’a répondu : « Mais écoute Sergio, il y a de l’herbe partout, ici. Ça te sert à quoi ? Aurais-tu par hasard un élevage de lapins ? ».

En mûrissant j’ai commencé à trouver que le vert de la nature n’est pas toujours apaisant, et qu'en tout cas il est encore plus vert quand il est bordé par de belles lignes de géraniums aux couleurs nettes et criardes.

* Ce qui est beau et important se passe ailleurs.

 

2 commentaires:

  1. L’historique de ma relation au géranium ressemble au vôtre.
    Sa présence incontournable dans les jardinières de balcons faisait de lui l’antithèse des fleurs sauvages, qui avaient toute ma faveur quand j’étais petite fille.
    C’était une plante de vieux (c’est à dire à partir de la trentaine. Je crois qu’aimer le géranium est un indice du passage à l’âge adulte), et même de vieilles, puisque, d’après mes observations d’enfant, les femmes exclusivement semblaient beaucoup y tenir(« un vrai mec n’aime pas les fleurs »).
    Devenue vieille et domestiquée, je me suis mise à l’aimer à mon tour.
    Et puis j’ai découvert son passé de fleur sauvage d’Afrique du Sud.

    Armelle Sêpa

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  2. « (…) et le soleil, menacé par un nuage mais dardant encore de toute sa force sur la place et dans la sacristie, donnait une carnation de géranium aux tapis rouges qu’on y avait étendus par terre pour la solennité, et sur lesquels s’avançait en souriant Mme de Guermantes, et ajoutait à leur lainage un velouté rose, un épiderme de lumière, cette sorte de tendresse, de sérieuse douceur dans la pompe et dans la joie qui caractérisent certaines pages de Lohengrin, certaines peintures de Carpaccio, et qui font comprendre que Baudelaire ait pu appliquer au son de la trompette l’épithète de délicieux. »
    M. Proust « Du côté de chez Swann ».

    Armelle Sêpa

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