mercredi 15 mai 2024

Le royaliste qui est en nous 2. (« Nous sommes très courtisés »).

 

Œuvre du peintre belge Thierry Poncelet

 

Ce constat (l’admiration latente pour l’univers aristocratique) est une évidence en matière de chiens. Voici comment j’analysais les choses dans mon ouvrage  L’éloquence des bêtes. Quand l’homme parle des animaux au chapitre : « Hommes de gauche et chiens de droite »[1] :

 

Parentés totémiques

C'est lors d'un long entretien dans les Alpes italiennes que la logique « initiatique » dont je viens de parler, axée sur l'idée d'une noblesse originaire reliant tous les « aficionados » du culte canin, s'est révélée dans toute sa prégnance. Mon informateur, un chasseur d'origine très modeste toujours entouré par des notables locaux, vantait le pedigree de ses setters anglais. « Tu vois »,  me disait-il, « nous sommes très courtisés » (à savoir lui et ses chiens). « C'est parce que mes chiens ont beaucoup de classe. Mais on ne se croise pas avec le premier venu. Depuis un bon moment on a pris l'habitude de se marier avec le docteur Masini. Et d'ailleurs, on est devenus de très bons copains. On s'entend très bien ».   

C'est ainsi qu'un pedigree canin, transformé en pedigree fantasmatique, est incorporé (par sympathie dirait James Frazer) par le propriétaire du chien. L'analogie avec le totémisme - un totémisme métaphorique, bien entendu - ne peut que faire sourire. Le chien et son maître, associés dans un « nous » qui en dit long sur les enjeux sous-jacents, partageraient une sorte d'ancêtre commun, voire deux ou plus par le jeu des accouplements  reliant entre eux les différents propriétaires (mon informateur et le docteur Masini, le cas échéant). Cet ancêtre fabuleux, l'étalon qui est à l'origine du lignage, n'est que le double canin, l'avatar pourrait-on dire, d'un propriétaire tout aussi paradigmatique (les deux formant un couple « archétypal » aux destins et aux physionomies indissociables). Comme par hasard, ce propriétaire « mythique » est souvent un aristocrate (ou un sujet "remarquable" : Cavaliere,  Commendatore …,  l'équivalent de ces chiens n'ayant pas de pedigree mais que l'on accepte aux concours parce que susceptibles de posséder de nobles ascendants...). Voici par exemple les coordonnées de quelques propriétaires des chiens dont on proposa l'inscription au Kennel Club en 1915 :

Comte Pio Menicon Bracceschi de Perouse,

Comte cav. Ing. Eugenio Morando de Verone

Comm. Francesco Silva de Pizzighettone

Architecte. Cav. uff. Ulisse Bosisio de Lonate Pozzolo

Et voici le nom « à particule » de quelques chiens :

Dir del Trasimeno

Tellino di Regona

Full dell'Eniano

Et lorsque le prestige du propriétaire fait défaut, c'est au chien de porter toute la responsabilité d'un nom dynastique. C'est le cas, entre autres de :

Lola 4ème, pointer femelle de M. Mario Costanti de Florence, ou de

Fly 6ème, pointer femelle  de M. Giuseppe Taticchi de Perouse (Cf. Diana, il Field d'Italia, juin 1915, p.144.

On répliquera que la société, entre-temps, s'est beaucoup démocratisée. C'est indéniable. Toujours est-il que lorsqu'on passe en revue les appellations des nouveaux chenils et les noms des nouveaux reproducteurs, on ne peut pas s'empêcher de remarquer la permanence de vieilles habitudes. Voici par exemple la généalogie de Mir (dont on déplore, par ailleurs le prénom trop modeste) , champion de chasse pratique en 1998:

Birbo degli Uberti

Orfeo della Trappola

Fuga del Meschio

Bref, que des noms à particule. On tient beaucoup aux origines.


[1] Éditions Métailié, 2006, pp. 44 et suivantes.

5 commentaires:

  1. En suivant ce raisonnement inattendu, si on pousse la généalogie jusqu’aux origines, Dieu notre père(mère) à tous étant notre ultime ancêtre commun, on entend soudain différemment le juron « Nom d’un chien ».

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    1. Je me souviens encore de mon setter anglais. Il s’appelait Sam (c’était un diminutif). On se regardait fièrement dans les yeux et on se disait : « Nous sommes tous les deux d’origine divine ». Comme tous les autres d’ailleurs.

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    2. Ça me rappelle les regards que j’ai pu échanger avec mon premier Fox-terrier.

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    3. Y a t-il un paradis pour les non-humains ? L’Église, pendant un long moment, a refusé cette hypothèses. Dans un paradis éventuel nos chiens se regardent fièrement dans les yeux et se sentent parfaitement humains.

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