Mouton à queue grasse (1682).
Illustration extraite
de l'ouvrage d'Aïda Kanafani-Zahar : Le
mouton et le mûrier. Rituel du sacrifice dans la montagne libanaise. Paris
PUF, 1999.
J'ai parlé du sacrifice du mouton mais c'était
un prétexte pour parler des élections régionales qui m'ont laissé un goût amer : j'ai
découvert qu'un Français sur trois ne me donne aucune envie de boire un verre avec lui (ce qui est réciproque, d'ailleurs). Je reviens donc aux moutons. Depuis des siècles, dans les monts du Liban, on a pris
l'habitude de gaver un mouton avec des feuilles de murier, de vigne, de figuier
et autres gourmandises. Le gavage produit de la graisse, qui s'accumule notamment
dans la queue de l'animal, particulièrement précieuse pour la préparation et la
conservation des aliments. Le succès de l'opération porte sur le maternage : plus le
mouton est aimé et soigné par la
femme qui s'en occupe, plus il prospère. Inutile de préciser que, au moment du sacrifice, livrer ce
"proche de l'homme" à
son destin est un acte qui ne va pas de soi : " Un jour avant l'abattage, écrit Aïda
Kanafani-Zahar, la femme 'fait une crise'. Elle ne l'empêche pas, elle essaie
de le retarder; elle a un peu peur, tout juste espère-t-elle faire reculer la date fatidique. Elle
invoque le temps froid qui améliorera les performances d'engraissement. Elle
accompagne ses gestes nourriciers
par des chansons tristes, en répétant : 'la pauvre, aujourd'hui tu manges et
bientôt tu seras mort'". Le
rituel règle et "protège" la mise à mort en lui donnant une
légitimité. Mais les gestes de la tradition, parfois, ne suffisent plus. "
(...) Certaines femmes rurales qui, enfants, ont été témoin de cette pratique
sont devenues végétariennes. Pour d'autres - poursuit l'ethnologue - le gavage
du mouton a servi comme point de départ à une action pour dénoncer certaines
coutumes traditionnelles" (p.131-132).
C'est cruel et beau comme un conte philosophique. Et ça se termine bien. Ça donne de l'espoir.
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