Ayant longtemps travaillé sur la figure du prédateur et
sur la « métaphore guerrière » qui constelle la rhétorique cynégétique, il était
inévitable que je m’intéresse à la figure du Berserk, ce guerrier-fauve
décrit part Tacite et largement étudié par Dumézil.
Lorsqu’on est substantialiste, comme certains collègues qui ont étudié le monde de la chasse, on voit dans la « Fièvre du chasseur », cet appel « irrésistible » qui s’empare périodiquement du « vrai chasseur » notamment d’origine germanique, le retour du fauve qui se cache dans les profondeurs de notre inconscient. Lorsqu’on adopte une posture moins « lamarckienne », ce rappel à l’instinct ressemble plutôt à un joli prétexte pour justifier son incontinence* : « Ce n'est pas moi le responsable de ces moments d'hubris où je rappelle aux proies leur subalternité, c'est la force occulte qui s'empare de ma personne de façon cyclique. C'est l'appel de la forêt, c'est une volonté transcendante qui me dicte l'action. Le résultat est tragique, je sais, mais beau et grandiose. On dirait du Wagner».
J’ai analysé ce recours instrumental au topos du Berserk dans Le retour du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société post-rurale (Presses Universitaires de Rennes, 2011). En voici un fragment :
« La
coexistence de postures si différentes nous empêche d’interpréter cette
fascination collective pour ours,
loups, panthères et jaguars comme
un phénomène unitaire. Dans une perspective anthropologique (…) le prédateur
est un signifiant (on pourrait
dire n’est qu’un signifiant): si son éthologie
(sa condition de carnassier, par exemple) est une donnée objective, bien
que sujette à controverse, son contenu symbolique, le message que nous lui
faisons véhiculer, dépend du contexte. Son sens (on pourrait dire son emploi), est donc sujet à variation.
Mettre en scène le fauve permet à certains individus de justifier leur
agressivité, de la « normaliser » en la replaçant dans un cadre
naturel. D’autres, en revanche, peuvent mobiliser cette figure projective pour
l’expulser de leur univers psychique : nommer le prédateur, dans ce cas,
revient à le refuser. D’un côté on s’identifie, on intériorise. De l’autre on extériorise, on « objective »
: une fois rendue objet, la pulsion prédatrice est plus facile à observer,
contrôler, domestiquer. Bref, si dans la mise en spectacle de l’éthologie des grands fauves certains
individus magnifient leur propre instinct de prédation, d’autres cherchent plutôt
à l’exorciser. Pour les « néo-berserkir », le retour du prédateur
annonce peut-être un scénario réaliste (signe avant-coureur d’une époque plus
franche, où on pourra restaurer la sélection naturelle, le duel, la peine de
mort, etc.). Pour les esprits moins belliqueux on est plutôt dans la catharsis : si je montre la fureur
du fauve, c’est pour en prendre les distances, pour m’en débarrasser. (Extrait
de Le retour du prédateur, op.cit, p.
63)**. `(à suivre)
*Une des nombreuses déclinaisons de la "Comédie de l'innocence"'.
** Cf. aussi le paragraphe : "Nouveau folklore : les vertus explicatives du cerveau reptilien",i bid : p. 80-82.
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