La dolce vita. Sangliers en promenade dans le centre de Rome (cliché : Il Corriere della Sera)
Avant-hier j’ai assisté à la soutenance de la thèse de Carole Marin « Sauvage en ville. Le sanglier bordelais »*. Un très beau travail, à en juger de la présentation. Il a été question de stratégies et de tactiques, d’idéologie, d’enquête de terrain, de suivi GPS, d’interdisciplinarité … On a appris plein de choses autour de la « lutte contre l’ensauvagement spontané de la nature urbaine » et ses enjeux culturels et politiques.
Ce qui passionne, dans le sanglier, c’est son « affordance » symbolique** : à lui seul, il résume le caractère hybride du monde où nous vivons. Diurne et nocturne à la fois, sauvage mais de plus en plus enclin à socialiser avec l’humain, passant son temps entre le fourré et les champs, le sanglier remet en cause nos catégories habituelles, et notamment l’opposition domestique/sauvage. Pour comprendre sa logique et lui faire face, nous sommes obligés de nous hybrider à notre tour. Le géographe devient ethnologue, le chasseur devient écologue, l’éthologue devient pisteur (et c’est relativement facile parce que cette hybridité, au bout du compte, est déjà en nous, habités comme nous sommes par plusieurs instances à la fois).
Tout le monde a salué avec enthousiasme la qualité de cette recherche. À un certain moment, un membre du jury particulièrement scrupuleux a émis quelques critiques (ça fait partie du rituel, il n’y a pas d’initiation sans brimades, nous rappelle Durkheim)***. La tension, soudainement, a augmenté. Il y avait du cynégétique dans l’air. Ça a duré quelques minutes. Loin d’être aux abois, la candidate a réagi calmement, en argumentant ses choix et en profitant des questions pour confirmer sa maîtrise du sujet.
Je ne sais pas comment ça c’est
terminé. Très bien, j’imagine.
* Thèse de doctorat en géographie, Bordeaux 3, sous la direction de Laurent Couderchet et de Nicolas Lemoigne.
**Dans le sens qu’il semble tout prêt pour des emplois symboliques qui sautent aux yeux.
*** Ça portait au départ sur des
oublis bibliographiques. On peut comprendre. Il faut reconnaître que, lorsqu’on travaille depuis longtemps sur un
sujet marginal qui a pris de l'importance (c'est le cas du statut de l'animal), on aime figurer dans l'état de l'art dressé par les jeunes chercheurs. Lorsqu'on n'apparaît pas dans les bibliographies des collègues travaillant sur les mèmes questions, c'est encore plus vexant.
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