mercredi 14 juin 2023

Hubris : Augmenter l’animal


Je viens de parcourir ce beau numéro de la revue Billebaude (22) consacré aux animaux augmentés. La question est abordée sous toutes les coutures : Augmenter l’animal ; L’animal sous le microscope naturaliste ; Vincent Fournier, Uchronie ; Les animaux augmentés de la science fiction ; Reconstruire un monde perdu ; Tendre l’oreille aux mondes animaux ; Chimères ; Le zoo CRISPR ; Sélection et reproduction des bovins ; Sus scrofa albinos, sanglier mutant ; Mishka Henner, The fertile image ; Envisager l’animal depuis le jeu vidéo ;  Machinerie d’une faune ; Entrevoir notre avenir.

Ces suggestions foisonnantes nous invitent à nous positionner par rapport  aux anciens, très mal disposés vis-à-vis du  désir, présent aussi chez eux, de dépasser les limites « naturelles ». À l’école primaire, ma maîtresse cherchait à délégitimer ce désir en nous lisant la célèbre fable d’Ésope intitulée : De la grenouille et du Bœuf :

 

"La Grenouille ayant un jour aperçu un Bœuf qui paissait dans une prairie, se flatta de pouvoir devenir aussi grosse que cet animal. Elle fit donc de grands efforts pour enfler les rides de son corps, et demanda à ses compagnes si sa taille commençait à approcher de celle du Bœuf. Elles lui répondirent que non. Elle fit donc de nouveaux efforts pour s'enfler toujours de plus en plus, et demanda encore une autre fois aux Grenouilles si elle égalait à peu près la grosseur du Bœuf. Elles lui firent la même réponse que la première fois. La Grenouille ne changea pas pour cela de dessein ; mais la violence qu'elle se fit pour s'enfler fut si grande, qu'elle en creva sur-le-champ.  Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)"

 

La morale de cette fable  est profondément réactionnaire, difficile de le contester.  Le problème est que nous avons du mal à savoir quelles sont les limites que la nature a prévues pour nous.  D’autre récits anciens, par ailleurs,  nous mettent en garde contre le risque opposé : celui de nous contenter trop facilement de ce que nous sommes, de rester donc trop en deça des limites fixées.  C’est le message transmis par  la "Parabole des talents" :  ce qu’il faut regretter, c’est de ne pas avoir su profiter de nos potentialités. Bref,  avoir été programmé pour être bœuf et se retrouver grenouille*. Voici une autre manière de trahir sa nature. Et voici , ajoutera quelqu’un, une autre manière de tenir des propos réactionnaires.

* Je joue sur le système de valeurs proposé par Ésope tout en étant conscient de sa relativité. On peut bien imaginer un bœuf qui, charmé par les opportunités offertes aux batraciens,  préférerait être une grenouille. Personnellement, j’aurais du mal à choisir.

2 commentaires:

  1. Les perspectives transhumanistes ont le don de perturber mon sommeil, sans parler de mon éveil.
    Pour retrouver de l’enthousiasme, j’écoute les entretiens du physicien (quantique), Philippe Guillemant, spécialiste des synchronicités, qui annonce :
    « Nous sommes à une époque charnière de l’humanité, où nous avons à choisir entre 2 futurs :
    Un futur où la connexion sera purement artificielle et où nous sommes condamnés à terme, à devenir des esclaves, ou un futur où la connexion redeviendra parfaitement naturelle et où nous serons de véritables êtres humains qui découvrent le merveilleux pouvoir de la Création. »

    Armelle Sêpa.

    « Borné dans sa nature, infini dans ses vœux
    L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux »
    Alphonse de Lamartine

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  2. C’est un vieux réflexe, mais le mot « transhumanisme » qui perturbe votre sommeil me fait penser à la notion de « prothèse ». Je vois bien les implications poétiques, scientifiques, politiques liées à la notion d’ « animal augmenté », mais cela part dans des directions que j’ai du mal à maîtriser. Pour l’instant, je trouve que mieux valoriser nos facultés animales « de base », qui restent largement inexploitées, serait déjà un pas en avant.

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