mercredi 30 octobre 2024

L’esprit latin

 


Venise, il y a quelques jours. Les goélands ne manquent pas à Campo santa Margherita. Ils attendent impassibles un geste  de la part  du poissonnier. Je les observe minutieusement, comme si je n’avais jamais vu un goéland. Je compare leur allure à celle de Maurice, qui est un Celte, en cherchant les indices de   leur latinité*.

 

*Maurice est un goéland brestois qui fréquente mon balcon. Il intervient sur ce blog avec une certaine régularité.

dimanche 27 octobre 2024

Il n’y a qu’à (4) Science et croyance

Ours solitaire qui déambule depuis quelques mois  dans la région de Seren del Grappa, dans les Alpes de Vénétie (et il déambule vraiment partout. Je crois même l'avoir déjà surpris une ou deux fois sur ce blog).

On dirait une obsession, mais malgré mes bonnes intentions, l’actualité m’oblige à revenir sur la conférence consacrée à l’ours et aux loups à laquelle j’ai assisté au début du mois. Si elle m’a fasciné, c’est que je l’ai trouvée exemplaire, tellement elle arrivait à bien illustrer le discours des techniciens de l’environnement concernés par le retour des grands prédateurs. Ce qui m’a frappé, entre autres, c’est l’usage de la notion de « science ». Les données étaient précises, mais leur utilisation rappelait le ton de ces médecins et vétérinaires du XIXème siècle qui ont beaucoup aidé les folkloristes en leur donnant des informations précieuses sur les opinions et les coutumes rurales en matière de soin des plantes, des animaux et des humains. Leurs écrits, que l’on retrouve aisément dans les bibliothèques municipales de la zone alpine, visaient à éradiquer les superstitions. Et pour les éradiquer il faut bien les décrire. L’orateur nous a proposé un beau croquis montrant au public la différence entre le domaine de la science et celui de la croyance*. L’objectif était de remettre en cause toutes les « rumeurs » concernant l’apparition des ours dans la région. Je rappellerai au passage que, pour les anthropologues, la frontière entre science et croyance est très difficile à établir et fait l’objet d’un débat de plus en plus complexe et sophistiqué.

 

Le discours est vite passé à l’ours qui, de lui même, a décidé de s’installer pas loin du bourg où se tenait la conférence. Je résume en quelques mots les mots du zoologiste, qui utilisait un langage accessible et imagé pour transmettre ses connaissances à une population qui n’a pas forcément de diplôme en sciences naturelles. « Pourquoi les ours se déplacent tout seuls ? Beh, c’est comme chez les humains, ils se déplacent à la recherche d’une fiancée. De toute façon, les indices sont formels, je vous assure qu’il n’y a qu’un ours, ici, il faut vivre avec, parce que c’est de plus en plus inévitable de cohabiter avec la faune sauvage, mais il n’y a aucune raison de s’inquiéter ».

 

Un jeune homme, dans la salle, a osé prendre la parole :

 

- Est-on vraiment sûr qu’il n’y en qu’un ? Si l’ours s’est installé ici, c’est peut- être qu’il y a une femelle.

 

La remarque n’a pas plu au naturaliste, qui a rappelé la fiabilité des données dont il disposait et la distance entre la science, dont il était le représentant, et l’univers des opinions personnelles : « C'est votre opinion. Libre à vous de penser ce que vous voulez ! ». Le jeune homme, imperméable aux certitudes du savoir académique, n’avait pas l’air très convaincu et a répliqué : « Bon, on verra ».

 

Il y quelques jours, à une dizaine de kilomètres du lieu de la conférence, deux personnes ont aperçu un animal qui cherchait à soulever avec son museau le grillage du terrain de foot. Il s’agissait d’un ourson **.

 

Morale : science et croyance peuvent parfois se rejoindre. Il n’y a qu’à attendre quelques jours.

 

* Je l’ai pris en photo, mais je ne pense pas avoir le droit de le diffuser.

**https://www.ilgazzettino.it/nordest/belluno/orso_campo_calcio_alba_tomo_feltre-8437268.html



jeudi 24 octobre 2024

Il n’y a qu’à (3). Du grillage au grill

 

 

Image empruntée au site suivant : https://www.ako-agrar.com/fr/protection-contre-animaux-sauvages/defense-contre-loup/clotures-filets

Je reviens une dernière fois sur la conférence de l’autre soir, où j’ai appris plein de choses sur les comportements des ours et des loups. Une nouvelle rassurante, par exemple est que, contrairement â ce que pensent les éleveurs, les clôtures de protection fonctionnent à merveille. Tout dépend de qui les installe. Lorsque c’est l'éleveur, ça ne marche pas à tous les coups. Mais lorsque c'est le zoologiste lui-même, le succès est assuré. La hauteur des protections ne compte pas pour grand-chose. Le loup est un acrobate et gravit les grillages avec l'agilité d'un funambule. Il faut donc les électrifier. 12 volts ce serait l'idéal (c'est peu-être gênant pour les enfants, ces touche-à-tout ingouvernables, mais on ne fait pas d’omelette etc … ).

Dans une étude pionnière que j'ai déjà citée dans ce blog, Sophie Bobbé montre que dans l’imaginaire collectif l’ours et le loup fonctionnent comme un couple oppositif. Si l’un a certaines caractéristiques, l’autre aura des caractéristiques opposées. L’ours est marqué par la verticalité (il est plantigrade), le loup par l’horizontalité (les loups procèdent l’un derrière l’autre à la queue leu leu). C’est ainsi que certains commentateurs refusent l’idée qu’un loup puisse gravir les grillages avec l’agilité d’un funambule, prérogative réservée aux ours.

mardi 22 octobre 2024

Il n’y a qu’à (2). Éco-dissuaseurs à l’ancienne

 


Ce que les ours ne supportent pas, nous expliquait le zoologiste Renato Semenzato il y a quelques jours, est de se retrouver à l’improviste face à un représentant de notre espèce. Il réagit automatiquement. C’est éthologique. Dans une zone fréquentée par les ours, pour ne pas désacraliser la forêt en parlant trop fort (« Martine, regarde là, c’est une chanterelle! » « Je vois, c’est une chanterelle, mais pourquoi tu cries comme un malade ? Je ne suis pas sourde ! »), on peut se munir d’une clochette.

J’ai tout de suite pensé aux lépreux, censés déambuler avec une clochette pour prévenir les bien-portants de leur arrivée. Le rapprochement n’est pas sans fondement : dans la nature sauvage - ne serait-ce que pour les plus purs chez les amateurs d’espaces non-contaminés - nous sommes des intrus polluants et contagieux.

À la place de la clochette, souvent, les lépreux utilisaient une crécelle. J’imagine le joyeux boucan (je dis joyeux parce que trop de silence, c’est vrai, rend mélancolique).

Ça me donne des idées. Je vais me lancer dans la production de crécelles anti-loup. Je les appellerai « Éco-dissuaseurs à l’ancienne ». Et j’ai déjà la formule d’accompagnement : « Un clin d’œil sympathique à la tradition ». En plus c’est biodégradable. Je deviendrai riche et fameux.

dimanche 20 octobre 2024

« Il n'y a qu'à » (1).Dans le grand cancan de la nature. Nuisances sonores et wilderness

Répulsif par ultrasons (le vacarme se déploie à des fréquences que nous n'entendons pas, ce qui est l’essentiel) 

La nature sauvage? Dans l’imaginaire collectif cela rime avec « contemplation », « sublime », « C’est ravissant », « C’est magique », « C’est mystique », « La forêt ? Une immense cathédrale dans le vert»...

 

Le retour des grand prédateurs a tout bouleversé : autrefois, dans les bois, nous parlions doucement pour ne pas effaroucher les animaux et pouvoir les admirer dans leur intimité*. Aujourd'hui, les techniciens de l’environnement nous conseillent de parler fort pour éloigner les ours et les loups**.

 

* Nous qui ? On mesure toute l’ambiguïté de ce pluriel.

** Morale : aujourd'hui, qui aime vraiment la nature (et a bien compris l'importance des grands prédateurs pour la préservation de la biodiversité) fait du bruit dans les bois.
 

vendredi 18 octobre 2024

La place des Martyrs

 

Vénus Anatomique. Cliché réalisé par moi-même et tout récemment publié dans l’ouvrage Bio-art: Varieties of the Living in Artworks from the Pre-modern to the Anthropocene.

 

A-t-on le droit de garder les morts à la maison ? Oui, lorsque cela concerne des non-humains. Il peut s’agir de trophées de chasse mais aussi d’œuvres d’art utilisant des bêtes taxidermisées. Pour les humains c’est plus complexe. Autrefois, les fidèles les plus pieux accrochaient un crucifix dans la pièce centrale de leur habitation. Du matin au soir, ce faisant, ils avaient sous les yeux la vision d’un homme agonisant. Ceux qui pouvaient se le permettre, prenaient en location les reliques des saints les plus réputés. Stationnant quelques mois sur la commode, elles diffusaient dans l’espace domestique des ondes bénéfiques. Tout ça n’a rien à voir avec la nécrophilie. Si on exhibe les morts, c’est pour des raisons pratiques : leur état, en fait,  nous convient.

J'explore la nature de  cette utilité dans un texte que j’ai appelé –« The Place of Martyrs. About the Artistic Recycling of Taxidermied Animals ». Il a été publié dans l’ouvrage   Bio-art: Varieties of the Living in Artworks from the Pre-modern to the Anthropocene, Transcript Verlag, 2024, dirigé par Julio Velasco et Klaus Weber. Voici le lien pour ceux qui en voudraient savoir plus :

 

https://www.transcript-publishing.com/978-3-8376-7177-3/bio-art/

mercredi 16 octobre 2024

Les guêpes et l’alcool

 

Les guëpes aiment le Müller Thurgau


Je me souviens que nous étions au bar, cela fait vraiment longtemps. C’était l’époque où certains Italiens buvaient encore du Pernod. Personne ne connaissait Peter Singer, figure tutélaire de l'animalisme contemporain,  et les guêpes n’avaient pas une bonne réputation.

 

Le Pernod de mon ami était presque terminé. Une guêpe est arrivée et est entrée dans le verre. Mon ami a fermé le verre avec la petite assiette des olives. Je lui ai fait remarquer que je n’aurais pas aimé être à la place de cette guêpe. « Ce n’est qu’un insecte », m’a-t-il répondu, « sa physiologie est différente de la nôtre, elle ne souffre pas ».

 

Enivrée par les exhalations du Pernod, en tout cas, la guêpe était narcotisée.

lundi 14 octobre 2024

Qui a pris mes lunettes? Doutes autour d'une salamandre

 

Je reviens sur la salamandre de l’autre jour. C’est comme le roitelet dont parle James Frazer dans son ouvrage consacré aux « Mythes sur l’origine du feu »*. Il faut savoir que seulement certains animaux, au départ,  savaient allumer le feu.  Et ils gardaient le secret pour eux. Le Prométhée qui a eu le courage et la générosité de le transmettre  à notre espèce est souvent un roitelet. Si l’imagination humaine trouve dans le roitelet une connexion avec le feu, c’est en raison de la tache jaune-rouge qui semble presque clignoter au sommet de son crâne (selon l'équivalence :  tache jaune=feu**). Il en va de même pour la salamandre qui, vraisemblablement,  est associée au feu à cause des décorations d’un jaune brillant qui taguent son corps.

 

Lorsque dans l’obscurité du bois j’ai vu la salamandre avancer tranquille, avec son allure de dinosaure, je lui ai dit : « Je suis content de te voir parce que d’après les folkloristes tu portes bonheur ». Pour bien la photographier j’ai posé mes lunettes, qui étaient embuées, je l’ai prise dans la main et je l’ai déplacée dans un endroit propice à la séance photographique. Elle était particulièrement froide, effectivement, on aurait dit du métal. Plus tard, montant dans ma voiture, j’ai réalisé que mes lunettes avaient disparu. Mon retour sur place, malgré une fouille approfondie, ne donna aucun résultat.

 

Morale : toutes les salamandres ne portent pas bonheur - à partir de mon expérience on pourrait presque supposer le contraire. « Et pourtant les anciens … il faut que je vérifie ». J’ai donc consulté plusieurs sources érudites.  Hélas, pas la moindre relation entre la salamandre et la chance. J’avais tout inventé et les matériaux folkloriques démentaient ma fausse croyance.

 

Ce qui nous amène à une seconde morale : le folklore n’est pas une science exacte mais presque.

 

* James George Frazer, Mythes sur l’origine du feu [1931] Payot, 2009.

**Chez les roitelets australiens, d’après le récit de Frazer, la tache est logée à l’autre extrémité (ce qui est normal, nous sommes là aux antipodes).

samedi 12 octobre 2024

Promenons-nous dans les bois lorsque l'ours est là


Hier soir j’ai assisté à une conférence du zoologiste Renato Semenzato. Il s’agissait de faire comprendre à la population de Seren del Grappa, un charmant village des Préalpes Vénitiennes, que l’ours qui depuis quelques mois rôde dans les environs ne doit pas constituer une source d’angoisse. Il a là toute sa place pour vivre sereinement, il s’adapte au contexte, il est prudent et s’il entend des voix humaines il se barre.

La déprise agricole a produit ses effets, les animaux sauvages reviennent, il faut faire avec. Mélangeant anecdotes et informations techniques très éclairantes, le naturaliste n’a pas caché son enthousiasme pour des pays étrangers (La Slovénie, le Canada la Roumanie …) qui vivent depuis toujours dans des rapports d’entente cordiale avec les plantigrades pourtant très nombreux.

Si vous voyez un ours, vous avez le droit d’avoir peur, okay? Ne montez pas sur un arbre, il vous attrapera. Ne lui jetez pas des cailloux, ça l’énerve. N’oubliez pas à la maison votre spray au piment de cayenne, qu’il faut garder à portée de main, dans la poche de la chemise. Sortez-le  au bon moment, pas trop tôt, pas trop tard.

 

Ça ne se fume pas, mais quelque chose me dit que ce spray au piment va faire un tabac.

jeudi 10 octobre 2024

Cueillettes d'automne (ou l'art de bien décrire)


 

 

- Tiens, à propos de champignons … l’autre jour, pendant ma promenade, j’ai trouvé plein de bolets orangés. Ils étaient tous au même endroit.

 

- Ils ressemblent à quoi les bolets orangés ?

 

- Ben … comment les décrire … ils ont une forme un peu phallique.

 

- Ah je vois. Parce que les autres, en revanche … 

 

lundi 7 octobre 2024

Comment se souvenir des salamandres ? Drôle de mnémotechnique.

 

Salamandre qui a croisé mon chemin dans le bois et dont je parlerai dans un des  prochains billets*

 

« Dans sa Vie, Benvenuto Cellini écrivit qu'alors âgé de cinq ans, il vit un petit reptile semblable à un lézard jouer dans le feu et courut en avertir son père. Celui-ci lui révéla qu'il s'agissait d'une salamandre et lui donna une bonne fessée afin de marquer le jour et la vision dans la mémoire de son fils » (Source : Wikipédia).

 

On dirait l'image que j'ai utilisée il y a longtemps à propos du même amphibien, mais c'est que les salamandres se ressemblent terriblement.

 


samedi 5 octobre 2024

Chiens savants

 

Je l’ai entendu l‘autre jour à la radio : les chiens comprennent ce qu’on leur dit, il suffit de leur parler lentement.

Tiens j’ai toujours cru qu’ils faisaient juste semblant de ne pas comprendre.

jeudi 3 octobre 2024

L’importance de s’appeler Adolf

 

Adolf Ziegler 1892–1959, Cristmas Picture

 

Est-ce que chez les nouveaux nés autrichiens le prénom Adolf va revenir à la mode ? Il l’est peut-être déjà, allez savoir. Ailleurs, pour l’instant, il reste peu apprécié. C’est comme pour le prénom Benito en Italie (pays surprenant où les choses changent très vite et une phalange de  bébés néo-mussoliniens est peut déjà en train d'envahir les chrèches). Autrefois, à l’époque où les valeurs de la patrie étaient respectées, le prénom Adolf (« du vieux haut allemand Adalwolf, de adal (« noble ») et wolf (« loup ») »), n’avait rien de honteux, bien au contraire.

Lorsqu’on est noble comme un loup on a le droit de prendre des initiatives. C’est ainsi qu’Adolf Hitler, en 1936, a chargé Adolf Ziegler d’organiser la célèbre exposition Entartete Kunst (l'art dégénéré), dans laquelle étaient mises au pilori les principales œuvres des avant-gardes artistiques de l’époque (Max Beckmann, Otto Dix, Paul Gauguin, Wassily Kandinsky, Oscar Kokoschka, Emil Nolde, Henri Matisse, Pablo Picasso...).

L’idée d’une nuée de petits Adolphe et de petits Benito venant mettre des limites à la création artistique et culturelle au nom de la normalité, du bon sens commun, de la sensibilité du peuple et de la morale nationale me répugne et me terrorise. La société évolue, les catégories aussi parait-il. De mon côté, je reste profondément antifasciste.*

 

* On me retorquera que même les communistes, là où ils ont pu le faire, ont exercé la censure au nom de l’intérêt collectif et traité comme des ordures des libres penseurs qui ne le méritaient pas.   C’était, effectivement, leur coté fasciste. Comme le dirait Virenque (je reviens souvent sur cette formule géniale) : ils étaient des fascistes « à l’insu de leur plein gré ». J’ajouterai que je connais plein d’électeurs qui, encore aujourd’hui, aimeraient mieux avoir chez eux un tableau d'Adolf Ziegler qu’un tableau de Kandinsky ou de Picasso.

mardi 1 octobre 2024

Les visiteurs de mon blog (10). Soyez spontanés, votez naturel !


 

 

Dans un billet consacré à l’identité nationale des visiteurs de mon blog (4 juillet 2023), je constatais avec regret n’avoir jamais suscité la curiosité du moindre Autrichien.

Aujourd’hui, après la victoire de l’extrême droite qui va donc gouverner le pays, je suis fier de mon manque d'attrait.

En même temps, je suis désolé pour les "vaincus", ces compatriotes de Sigmund Freud, Oskar Kokoschka et Thomas Bernhard (bande de dégénérés notoires) qui ont perdu les élections et à qui va toute ma sympathie.