Porteur de la bonne parole expliquant aux néophytes comment reconnaître une fanfaronnade
(Suite et fin). Dans une revue avec laquelle j’ai collaboré pendant quelque temps, j’évoquais les « bravades » provençales. Je venais de les découvrir grâce aux beaux articles de Danièle Dossetto consacrés à ce sujet. C’était dans une comparaison avec les rave-parties. J’avais écrit :
« J’y vois une version postmoderne des « bravades » provençales : au milieu de la fête, les hommes du village sortaient leurs fusils et tiraient en l’air, boum-boum-boum, juste parce que ça faisait plaisir à tout le monde**. J’y vois la même fierté anthropocentrique qui inspirait les anciennes battues de chasse, lorsque par les cris des rabatteurs, les aboiements des chiens, les barrissements des cors et les détonations des arquebuses on ramenait la civilisation dans les territoires hantés par les fauves et les esprits ».
La rédaction m’a suggéré de remplacer cette phrase par la suivante, à peine modifiée (juste un mot et des guillemets) : « J’y vois une version postmoderne des « bravades » provençales : au milieu de la fête, les hommes du village sortaient leurs fusils et tiraient en l’air, boum-boum-boum, juste parce que ça faisait plaisir à tout le monde. J’y vois la même fanfaronnade anthropocentrique qui inspirait les anciennes battues de chasse, lorsque par les cris des rabatteurs, les aboiements des chiens, les barrissements des cors et les détonations des arquebuses, on amenait la « civilisation » dans les territoires hantés par les fauves et les esprits… ».
Ça peut paraître dérisoire, mais derrière cette proposition on aperçoit une tendance, de plus en plus prononcée dans l’univers médiatique contemporain ainsi que dans le monde scientifique. C’est une forme de scientisme qui se voudrait progressiste (mais qui rappelle l’optimisme positiviste dans ses aspects les plus « coloniaux »), faisant coïncider la bonne cause avec la vérité : « Vous êtes dans l’erreur mais n’ayez pas peur : on va vous améliorer. Et pour vous améliorer il faut bien remettre en cause votre lecture du monde, bande de retrogrades machistes et fanfarons ». Sa caractéristique principale est de ne pas accepter la controverse. On procède par occultation. La fierté du chasseur est une ostentation priapique? On la rabat en la rebaptisant. Cette censure silencieuse vaut dans bien d'autres domaines : les comportements anorexiques impliquent-ils une forme de chantage ? Il ne faut pas en parler, ça stigmatise une communauté … Complices au lit (assez souvent), tout laisse penser que les hommes et les femmes le soient aussi en matière de barbecue. C’est un sujet trop complexe ... on n’a pas assez d’espace …
C’est
ainsi que l’acteur rural qui, fidèle à son passé pyrotechnique, décharge son fusil contre la lune au lieu de se conformer au bon sens écologiste,
perd sa légitimité pour devenir un fanfaron. Et l’anthropologue solitaire*qui, sans la protection d’un
réseau, interprète les mobiles de ce chasseur non-moderne en refusant les clichés à la mode, le devient aussi**.
* Chargée de victimisme, la formule « anthropologue solitaire » que je viens de forger se prête à plusieurs lectures. D’un côté, elle fait penser au lonely cowboy, avec tout ce que cela implique de pathétique, de pittoresque et de kitsch. De l’autre, elle renvoie à l’image du ver solitaire : un intrus que la corporation de chercheurs qui gère actuellement le discours sur l’animal et sur la vie sauvage (je ne donnerai pas de noms) aimerait bien expulser.
** Cela dit (un commentateur superficiel pourrait trouver que je suis contradictoire) j’ai en horreur les « pistoleros », qu’ils soient armés pour leur défense personnelle ou qu’ils aient choisi leur métier parce qu’ils aiment les armes et leur utilisation. Cela fait partie de mon « antifascisme » et cela explique ma tristesse face au retour de Rambo à la présidence des États-Unis. Je prétends que les chasseurs ne font pas nécessairement partie de cette catégorie (même s’il y en a un certain nombre, n’en déplaise aux représentants des chasseurs qui, dans leur jésuitisme, préfèrent cacher cette évidence).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire