dimanche 20 mars 2022

Peut-on être chasseur et de gauche? 2) Rural toi-même

Tout le monde est rural*

 

(Suite du billet précédent) 


Le débat actuel sur la politique et la chasse est traversé par un mot clé qui fonctionne comme un référentiel mythique : le mot « Ruralité ».

Si je parle de référentiel mythique, c’est que la ruralité évoquée par les candidats  n’est jamais un cadre réel dont ils précisent les caractéristiques. C’est un fond conventionnel,  comme dans la poésie pastorale, où  le « bon rural » remplace le « bon sauvage » d’autrefois.  On peut donc le meubler avec  les narrations que l’on préfère. Voici quelques figures de la ruralité qui s’offrent au narrateur en tant qu'opportunités rhétoriques : 

 

Est un rural le chasseur/paysan qui améliore son ordinaire avec ce qui lui est offert par la nature environnante.

 

Est un rural Raboliot, le héros du roman de Maurice Genevoix qui n’en a rien à cirer des règlements cynégétiques,  puisqu’il est appelé par la Nature en personne  (sorte de Robin des bois qui prélève le gibier des riches pour le donner aux pauvres, c’est à dire à lui-même).

 

Est un rural, son contraire, à savoir  le chasseur moderne, technicien de l’environnement et producteur de protéines nobles pour une alimentation bio…

 

Est un rural le mangeur d’ortolans dans des banquets clandestins qui revendique, par ces ingestions communautaires,  son appartenance ethnique et territoriale («  c'est le topos du braconnier identitaire »).

 

Sont des ruraux, en Italie, ces électeurs de la ligue du Nord qui organisent des festins à base d’ours – légalement acheté en Slovénie – ou qui pratiquent en cachette,  comme des Viet-congs dans la jungle, le piégeage des grives dans l’arrière pays de Lombardie.

 

Sont également des ruraux, mais avec une préférence pour les bois, les "Odinistes" italiens (les disciples d'Odin) qui se réunissent pendant les solstices pour retisser des liens tout à fait hypothétiques avec leurs ancêtres celto-germaniques.

 

Mais pourraient se réclamer de la ruralité également les survivalistes français,  ou ces identitaires qui apparaissent dans des  sites au décor médiéval, entourés de trophées, de fusils de chasse et de crucifix.

 

Et sont tout aussi ruraux, même s’ils appartiennent à d’autres couches sociales, ces membres du Saint-Hubert Club de France, institution vénérable, qui ont suscité le scandale, à la fin d’un diner caritatif, en entonnant l’hymne de l’Action française et le chant allemand des parachutistes de la Wehrmacht - ce qui les a quand même obligés à quitter la direction du Club**.

 

Les opposants à la chasse refusent que les chasseurs monopolisent la notion de ruralité. Guillaume Gontard, par exemple, président du groupe écologiste au Sénat déclare, je le cite :

 

« Ce discours comme quoi la ruralité ce sont des pratiques cruelles, d’une chasse à outrance, est insupportable. La chasse concerne aujourd’hui une minorité d’individus. J’habite dans un village et heureusement, la ruralité ce n’est pas ça. »***

 

Ce point de vue est partagé par le  député européen écologiste Pascal Canfin : « Il y a 13 millions de ruraux en France, 1 million de chasseurs, et parmi eux une grande partie sont des urbains, qui ont une résidence secondaire et un permis de chasse. En aucun cas on ne peut considérer que la chasse serait représentative de la ruralité dans son ensemble. »****

 

Dans le débat électoral, finalement, tout discours sur la chasse est un discours sur la ruralité. J’illustrerai la prochaine fois ses principales déclinaisons. (À suivre)

 

* J'ai trouvé cette jolie image à l'adresse suivante :

https://www.deguisetoi.fr/p-239386-blouse-de-jardinier-adulte.

** Cf. le quotidien l'Opinion,  Flirt d’extrême droite au plus vieux club de chasse de France ».

***(https://www.publicsenat.fr/article/politique/reautorisation-des-chasses-traditionnelles-d-oiseaux-emmanuel-macron-n-a-pas 

**** France Inter (18/8/2020). 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire