La fête de l'ours chez les Aïnous
Je conclus mes interventions consacrées au partage des rôles dans la
gestion symbolique de la mort (les hommes tuent, les
femmes protestent), en reprenant un passage de mon ouvrage L'éloquence des bêtes, paru en
2006 aux éditions Métailié, où je m'identifie à un
extraterrestre découvrant les pratiques de déresponsabilisation en vigueur dans le monde
contemporain :
Inutile de préciser que la mort de l’animal, même si
elle est programmée et exploitée à tous les niveaux, pose des problèmes
moraux. On constate avec surprise que les solutions adoptées sont
proches de celles en vigueur dans
les sociétés archaïques. Certaines stratégies dominent. La première, plutôt
complexe, peut être saisie en adoptant le point de vue que les anthropologues
qualifient d’« holiste » : chaque société constitue un tout et
les différents groupes qui la composent, au-delà de leurs contrastes apparents,
sont à considérer comme les engrenages solidaires d’un seul mécanisme. Dans l’île japonaise de Hokkaido, par
exemple, à la fin de la fête de l’ours, le rituel des Aïnous prévoyait que les
femmes agressent et insultent leurs hommes, coupables d’avoir mis à mort la
victime sacrificielle. Cette astucieuse division des rôles permettait à la
communauté de simuler un désaccord, donc une pluralité de points de vue ne
modifiant pas le cours des
événements
et d’exprimer publiquement, en l’exorcisant, le remords collectif. Malgré les
divergences, tous les membres de la communauté bénéficiaient de la mort de l’animal. La fête, d’ailleurs,
se concluait par un banquet général, où l’ours était joyeusement consommé aussi
bien par les hommes que par les femmes.
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