mardi 25 octobre 2022

La nature sauvage, ses clients et ses protecteurs

Raphaël Juan-Bouysset, Conservateur de la Bibliothèque de Maisons-Laffitte, et moi même

 

Victor Segalen détestait les romanciers « exotisants » qui, à son époque, géraient le discours sur l’altérité. En leur reprochant  de brader l’altérité, il  les appelait les Proxénètes de la Sensation du Divers.

Aujourd’hui, au nom de la protection du vivant et du développement durable, on invite les gens, même ceux qui n’éprouveraient spontanément  aucun attrait pour le « sauvage »,  à se rendre dans les bois pour faire du bien (sauver des animaux qui n’ont rien demandé, surprendre les cerfs dans leur intimité, simuler le dialogue avec les ours et les loups, se féliciter avec les aigles, encourager les gypaètes,  consoler les chauves-souris …). Incités à la consommation de masse des espaces verts, les destinataires  de cette propagande (une propagande ambigüe, éthico-scientifico-sportivo-commerciale), quittent les villes et se dispersent dans le Wild. Ce faisant, ils profanent la nature qu’ils croient sanctifier.

Pour ces raisons, je suggère de  qualifier leurs instigateurs,  les actuels détenteurs du discours légitime sur le rapport au « sauvage », de Proxénètes du Sentiment de la Nature.

J’en parlais déjà dans L’utopie de la nature, chasseurs, écologistes, touristes (IMAGO, 1996 - tiré de ma thèse qui s’appelait : La nature sauvage et ses consommateurs : des stéréotypes du récit de chasse aux lieux communs de la prose écologiste).

J’ai repris ce thème tout récemment et je le développe  dans le cadre d’une conférence à la bibliothèque de Maison-Laffitte. Voici le lien : 

https://www.youtube.com/watch?v=lWEg_cW7oxo

1 commentaire:

  1. « Et ce sont justement les plus solitaires qui ont la plus grande part à la communauté.
    J’ai dit plus haut que l’un perçoit plus, l’autre moins, de l’ample mélodie de la vie; en conséquence, incombe à ce dernier une tâche moindre ou plus médiocre dans le grand orchestre.
    Qui percevrait toute la mélodie serait tout à la fois le plus solitaire et le plus lié à la communauté.
    Car il entendrait ce que nul n’entend, et ce pour l’unique raison qu’il comprend en son achèvement, ce dont les autres, tendant l’oreille, ne saisissent que d’obscures bribes. »

    Rainer Maria Rilke - extrait de Notes sur la mélodie des choses.
    Traduction de Bernard Pautrat.

    J’ai suivi le conseil de l’une des personnes du public de lire cette œuvre. Elle la trouvait opportunément en rapport avec l’évocation (émouvante) de votre penchant précoce pour la rêverie concrète en milieu naturel.

    Armelle Sêpa.

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