Horace Bénédict de Saussure, 1740-1799
Comme on le sait, on doit à René Girard la notion de « Médiateur de prestige ». Lorsque j’ai pris connaissance de sa théorie fascinante j’ai tout de suite compris à quel point elle pouvait être utile pour expliquer l’engouement croissant pour la nature qui atteint aujourd’hui des proportions inquiétantes. Elle rend compte de ce phénomène non pas du point de vue des besoins individuels (qui sont évidents, bien entendu, on en a tous marre de vivre enfermés dans les villes), mais du point de vue des dynamiques sociales. Je résumerai la chose sur un mode caricatural : si, vers la fin du XIXème siècle, même les « naturophobes » (ceux qui étaient fiers de ne pas transpirer dans les bois, se salir dans le boue et renifler la chlorophylle) se sont mis à aimer la nature, c’est pour imiter les élites. J’ai commencé à en parler dans l’Utopie de la nature*, j’ai développé cette idée sur le plan ethnographique dans un article consacré au braconnage en Corse que j’espère republier bientôt*. Je retrouve une trace consistante de ce même raisonnement dans mon article « Les voluptés du plein air, passions ordinaires et passions distinguées »** dont je cite un extrait :
« Si l’on convoite un objet, nous rappelle Girard, c’est très souvent parce qu’un médiateur de prestige l’a désiré avant nous. Son désir nous l’a désigné. Autrement dit, pour la plupart d’entre nous, sans la médiation des rares amateurs « spontanés » (les Jacqueline de Romilly et Peter Handke et, avant eux, les Jean-Jacques Rousseau, Johan W. von Goethe, Horace B. de Saussure …) la nature sauvage serait restée une « non-valeur » et donc, voici le paradoxe, elle aurait eu quelque chance supplémentaire de rester sauvage. C’est justement à cet amour-vanité que nous fait penser la presse récente consacrée aux randonnées dans le sud de la France. « Montagne de Lure, la patrie de Jean Giono », lisons-nous dans l’hebdomadaire Terres provençales, consacré aux balades en Provence. Et juste avant « Sainte-Victoire, la montagne d’un peintre » ; « Les corniches du Cap Dramont (…) Charles Trenet a dû passer par là » ; « Aubagne, au pays de Pagnol ». Autrement dit : s’il n’y avait pas eu Pagnol, on n’aurait eu aucune raison de passer par Aubagne. Bref, tout laisserait entrevoir, derrière la prolifération des vocations naturalistes, des besoins induits, plus proches de l’amour vanité que de la véritable passion. Et cela, au sein d’un processus singulier qui fait coïncider exploitation intensive des espaces sauvages, intérêt économique et bonne conscience » p.388-389.
* L’Utopie de la nature. Chasseurs, écologistes, touristes, Paris, Imago, 1996
** “Pas légal mais presque. Autochtonie et droit de chasse dans le discours sur le braconnage en Haute-Corse“, in La chasse en Corse, Ajaccio, P.N.R.C., 1996 (pour des raisons que je ne vais pas expliquer ici je tiens à souligner sa date de publication).
*** "Les voluptés du plein-air. Passions ordinaires et passions distinguées, In (C.Bromberger éd.) Les passions ordinaires, Paris, Bayard, 1998.
On aura en effet beaucoup brandi Hemingway pour justifier la corrida, et Hitler (peintre de roses agonisantes) pour disqualifier le végétarisme.
RépondreSupprimer(En ce qui concerne Maurice, il est peut-être affligé par les ravages de la grippe aviaire sur les oiseaux des côtes finistériennes.
Quel manque pour vos lecteurs, si ses saynètes venaient à cesser.)
Armelle Sêpa
Son retour est imminent, vous verrez.
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