samedi 15 juin 2024

Tricksters, médiateurs, animaux qui surgissent etc. Autour de quelques vieilles idées auxquelles je tiens

 


Dans l’introduction à mon ouvrage La langue des bois. L’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi, Paris, Éditions du MNHN, 2020 (qui maintenant, je le rappelle, est en libre accès : https://books.openedition.org/mnhn/7745), j’ai résumé une partie de mes idées en matière d’anthropologie de la chasse et de la nature.  J’ai cherché à ne pas trop insister sur celles que j’ai exprimées dans L’Utopie de la nature. Chasseurs, écologistes, touristes (Paris, Imago, 1996) et, dans un cadre plus ethnographique, dans des articles en français publiés au début de mes recherches. Je les avais rassemblés dans l’ouvrage : Il miraggio animale : per un’antropologia della caccia nella società contemporanea (Roma, Bulzoni, 1996, troisième édition élargie, 1997).

L’autre jour je suis tombé sur cette vieille publication et je me suis aperçu que dans sa présentation je faisais déjà référence aux questions qui animent le débat contemporain, à commencer par celle de l’écologisme vrai ou présumé du chasseur « traditionnel ». Je me suis alors demandé quelles sont les autres idées, développées dans mes premiers travaux, auxquelles je tiens particulièrement. Trois ou quatre d’entre elles  me sont venues immédiatement à l’esprit. La première concerne la structure du témoignage cynégétique. En comparant entre eux les récits d’avant la prise de conscience écologiste j’ai constaté l’existence d’une scénographie  de longue durée issue de l’univers chevaleresque, et plus tard romantique, jouant sur une double rhétorique : la chasse comme noble confrontation (le chasseur duelliste et guerrier), la chasse comme poursuite d’un objet de désir (le chasseur amoureux). Sur un autre registre, je tiens beaucoup  à mon recours à la figure du Trickster pour définir la psychologie et le rôle des accompagnateurs autochtones, ces guides, ces médiateurs qui facilitent le contact du chasseur urbain avec la nature dite sauvage.* J’ai été particulièrement content du  chapitre de L’Utopie de la nature « Les délices du safari-photo » (et du paragraphe « Très anglais, très raffiné, très “Good Morning Sir”»), où je montre l’importance des antécédents illustres et des modèles littéraires, dans la passion des contemporains pour le tourisme culturel et pour le safari-photo. Dans l’Utopie de la nature j’insiste également sur la rencontre de l’animal en tant qu'apparition (cf. le paragraphe « L’apparition de la proie, (p. 117 et suiv.)** et, plus largement, sur le caractère fictionnel de la nature sauvage et de la manière dont le chasseur construit le caractère « désertique » des espaces qu’il investit dans ses divagations sylvestres. Je cite à ce propos la notion de « désert » telle qu’elle a été analysée par les médiévistes. Cette même idée est au cœur  de l’ouvrage collectif  Terres incertaines. Pour une ethnologie des espaces oubliés, PUR, 2014». Dans l’introduction j’avance l’hypothèse que l’opacité statutaire des espaces marginaux, loin d’être la conséquence d’un manque d’information, est une ambiguïté délibérément entretenue.

Cela vaut aussi pour d'autres domaines du réel dont l'opacité nous arrange.

 

* Ce rapprochement revient très souvent dans mes travaux, comme par exemple dans l’article « Une place dans la nature . Boiteux, borgnes et autres médiateurs avec le monde sauvage » Communications,  Nouvelles figures du sauvage, 2004 n. 76 pp. 59-82

** J’ai repris cette analyse, en l'appliquant à l’engouement actuel pour la rencontre avec l’animal, dans Faut qu’ça saigne. Écologie, religion, sacrifice, éd. Dépaysage, 2020 (cf. le paragraphe « L’homme (ou la femme), qui a vu le loup », p. 73 et suiv. 

 

 

 

2 commentaires:

  1. Si vous restez constant depuis tout ce temps sur ces points là on pourrait dire soit que "les imbéciles ne changent jamais d'avis" et vous vous obstinez dans vos égarements, soit que vous n'avez pas rencontré d'arguments suffisamment convaincants pour réfuter vos hypothèses de départ... personnellement je suis assez convaincu. J'essaie de garder un regard critique mais à vrai dire je crois me sentir plus proche de ce que vous écrivez que de ce que je lis ailleurs. Mais encore plus que les thèses que vous défendez c'est peut-être la manière dont vous pensez qui me parle (en tout cas telle qu'elle s'exprime à travers vos écrits)... Mais je suis un peu bête : c'est peut-être parce que vous avez influencé ma façon de penser. Je dis cela parce que je les connais bien ces livres (peut-être pas tous) je crois que celui qui m'a le plus marqué c'est "La langue des bois"... mais il y en a beaucoup qui m'ont fait rire aussi, l'éloquence des bêtes (c'est le premier que j'ai lu) et "Je interdit". J'attends le prochain.

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  2. Merci, je m’aperçois que mes gesticulations ne tombent pas toujours dans le vide. Mais je crois comprendre que je prêche à des convertis (catégorie assez rare, en ce qui me concerne - j'ai le sentiment que les "hérétiques", au lieu de contester ouvertement mes trois ou quatre idées, préfèrent s'en inspirer).

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