Encore un mot sur le terme « classe » et sur nos identifications aux animaux les plus « stylés ».
« En réalité, j’ai le sentiment que derrière l’engouement pour les grands prédateurs se cache parfois un certain snobisme. Un snobisme symétrique et inverse à l’amour affiché pour les bêtes les moins attrayantes – cet amour militant, souvent très bien argumenté, qu’on peut éprouver pour les chauves-souris, les chats sans poils ou les mygales. On pourrait le caricaturer par le propos suivant : je n’aime pas les animaux d’ici, trop courants et faciles d’accès. Et je ne m’identifie pas à des espèces grégaires comme les vaches et les moutons. Cette attitude se voudrait moderne («J’ai saisi la notion de chaîne trophique, de biotope, etc., et c’est pourquoi j’exige le retour des grands prédateurs »), alors qu’elle est romantique. Elle fait penser à Goethe et à sa réflexion sur les affinités électives : derrière des apparences différentes, le loup et moi partageons les mêmes dispositions, la même nature, la même alchimie. Je m’identifie au loup parce que je suis aussi noble que lui. Cette attitude fait également penser à celle que Flaubert prête à Emma Bovary: pourquoi j’aime l’ours et le loup? Parce qu’ici on s’ennuie beaucoup. Parce qu’ils sont des étrangers, et les étrangers, quoi qu’on en dise, ont leur charme. L’ours et le loup ne sont pas des étrangers, pourrait-on rétorquer, ils ont seulement disparu pendant une courte période et ils sont revenus. Cela est vrai, mais ils gardent le charisme de l’étranger, tout comme ces migrants qui ont quitté les mêmes régions montagneuses pour faire fortune ailleurs et sont revenus cinquante années plus tard, avec des mœurs qui ne sont plus les mêmes, et des fils qui parlent allemand. Les nouveaux loups viennent d’Italie, d’Espagne et parfois même d’ailleurs, selon une rumeur persistante. Les ours, assez souvent, sont slovènes. Ils mettent un zeste d’exotisme dans la fadeur locale. Ils ont tout pour plaire. Et étrangers ou pas, ils ont une certaine classe. Tout comme nous. C’est pourquoi ils nous aiment, ce qui est d’ailleurs réciproque. Songeons aux titres de quelques best-sellers : si l’on accepte de danser, c’est bien avec les loups, non pas avec les koalas. Si l’on court avec un animal, c’est encore avec les loups, pas avec les marcassins. Ce n’est qu’une parodie, je le sais, les gens sont bien plus sérieux que je ne le suggère et leurs arguments bien plus respectables.
S’il y a quelque chose de vrai dans cette plaisanterie,
si cet amour « provincial » pour ce qui est plus beau, fort et éloigné est
davantage qu’une insinuation malveillante, on peut le qualifier alors de «
bovarysme zoologique ».
Extrait de Faut
qu’ça saigne, Écologie, religion, sacrifice, éds. Dépaysage, 2020, p. 73. «Bovarisme animalier» serait peut-être encore plus approprié. J'ai du mal à choisir.
Joli détournement, dans le cadre des passions contemporaines.
RépondreSupprimerComme vous le savez sans doute, et bien que ce soit très controversé, le livre étant une critique cinglante du romantisme, on attribue à Gustave Flaubert l’affirmation : « Mme Bovary, c’est moi ».
Peu ou prou (je suis pour la préservation des vieilleries langagières), le bovarysme zoologique serait-il le vôtre ?
Armelle Sêpa.
Si je me permets de critiquer le « bovarisme zoologique » et, plus largement, les penchants pas clairs de mes cibles (chasseurs, écologistes, touristes …) c’est que je crois repérer chez moi les mêmes pulsions. En les nommant, je cherche à les exorciser.
RépondreSupprimerDepuis que je vous lis, en effet, j’ai l’impression que vous nous tendez un miroir(dans lequel, donc, vous vous observez aussi) pas forcément flatteur (pas non plus aussi horrifique que le portrait de Dorian Gray), mais qui reflète fidèlement certaines défectuosités que nous aimerions bien masquer.
RépondreSupprimerJe trouve ça plutôt salubre.
Mais ça peut ne pas plaire.
Armelle Sêpa.
Je reviens sur « ça peut ne pas plaire », j’‘ajouterai : »heureusement « ! Quelle triste vie si on plaisait à tout le monde , plus de contradictions… et puis , il y a peut etre un certain courage à risquer de ne pas plaire à tous…?
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