Sauvages dont on savait déjà tout bien avant de les rencontrer
On ne peut qu’être étonné par la finesse et la modernité avec laquelle Joseph-Marie de Gérando, à la fin du XVIIIe siècle, alertait ses contemporains, prêts à partir pour des pays lointains, contre les risques de l’ethnocentrisme, à savoir contre la tendance à projeter sur les autres ses propres valeurs et sa propre conception du monde :
« Souvent, écrit-il, les
voyageurs ont fait reposer sur des hypothèses, ou fautives, ou tout au moins
douteuses, les récits qu’ils nous ont transmis. Rien ne leur est plus
ordinaire, par exemple, que de juger les mœurs des sauvages par des analogies
tirées de nos propres mœurs, qui ont cependant si peu de rapports avec elles.
Ainsi, d’après certaines actions, ils leur attribuent certaines opinions,
certains besoins, parce qu’elles résultent ordinairement en nous de ces besoins
ou de ces opinions. Ils font raisonner le sauvage à notre manière, lorsque le
sauvage ne leur explique pas ses raisonnements ».*
Les éthologues aujourd’hui,
nous alertant contre le risque de surinterpréter les motivations de nos chats et de nos chiens, tiennent le même discours pour ce qui concerne l’altérité animale.
*J.-M. de Gérando,
« Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l’observation des
peuples sauvages », in J. Copans et J.Jamin, Aux origines de l’anthropologie française, Paris, Maspéro, 1976,
p. 135
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