Alouette. Petit animal parfaitement innocent chassé de préférence par les habitants du sud de l’Europe (ceux du nord ne chassant que les gros).
Le réveillon approche. À quoi suis-je prêt à renoncer pour avoir la conscience tranquille ? Peu importe, ce qui compte est le geste. Renoncer à une chose me donne le droit d’accéder à quelque chose d’autre. C’est la conclusion à laquelle je parvenais dans un chapitre de mon étude L’éloquence des bêtes. Quand l’homme parle des animaux (Paris, Métailié, 2006). Dans les trois ou quatre billets qui suivent je reprendrai telle quelle cette courte analyse qui a pour titre : « Pourquoi renoncer ? ». C’est ma manière de fêter la fin de l’an, cette période sans lumière où, pour compenser, nous nous empiffrons comme des hamsters :
« Nous avons insisté ailleurs sur la permanence, dans la société contemporaine, de la logique de la dîme : je renonce à une portion du bien pour m’emparer de ce qui reste ; je qualifie une partie d’ "intouchable", pour rendre l’autre "touchable"*. C’est dans cette logique, véritable stratégie de mainmise morale sur des espaces et des ressources dont l’accès pose problème, que l’on peut interpréter toute une série de rejets et de prédilections alimentaires qui se présentent souvent sous des couples oppositifs : le chasseur de bécasses (le "vrai chasseur") regarde avec mépris le chasseur de gibier d’élevage ; ce dernier "prélève plus volontiers les perdreaux", car ils sont "plus sauvages" que des "vulgaires faisans" (même lorsque les deux espèces sont élevées par le même producteur). Le chasseur de gros gibier, pendant longtemps, a tiré sereinement sur les mâles adultes, tout en décriant les "viandards", capables, eux, d’abattre des femelles et des petits (les femelles et les petits, on le sait, sont "sacrés")**. Les chasseurs de l’Europe du nord trouvaient inhumain que l’on puisse cribler de plomb des alouettes, qui pèsent la moitié d’une cartouche, alors que les Méridionaux, avant le retour du gros gibier sur leurs terres, jugeaient inhumain que l’on puisse abattre des chevreuils "ces animaux proches de l’homme, si gracieux et intelligents".» L’éloquence des bêtes, op. cit. pp. 178-179.
Attention, cette stratégie de bonimenteur, comme on le verra la prochaine fois, ne concerne pas que les chasseurs.
* Je fais référence à L’utopie de la nature. Chasseurs, Écologistes, Touristes, Paris, Imago, 1996
**Le chasseur-gestionnaire d’aujourd’hui sait que les choses sont plus complexes.
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