La formule
"lapin de garenne" me rappelle la Provence. Pendant mes années de doctorat
j'ai habité à Puyricard, dans
l'arrière-pays aixois. Ma fiancée préparait aussi son doctorat. Elle était
comme Kant : à l'aube, avec une
régularité chronométrique, elle se promenait sur un petit chemin goudronné, qui sortait du village, pour méditer autour des liens entre Lucien Lévy-Bruhl et le
relativisme cognitif. A cette époque on commençait à bâtir des villas en pleine garrigue mais le
paysage, dans son ensemble, restait encore "cézannien". À
la lisière, entre les champs et le maquis on voyait trottiner les lapins. Les propriétaires des villas
étaient pour la plupart des citadins qui avaient quitté le bruit d'Aix-en-Provence,
ou le fracas de Marseille, pour s'installer en pleine nature. Le matin ils
partaient tôt pour se rendre au
travail. Les lapins étant nombreux et indisciplinés, il arrivait à ces
néo-campagnards d'en écraser quelques uns par inadvertance. Après le forfait, que
ce soit pour des raisons psychologiques (horreur du sang, envie d'oublier au
plus vite) ou pour des raisons pratiques (l'empressement, la crainte d'être
repéré par le garde-champêtre ... ), ils ne s'arrêtaient pas. Quel dommage, me disais-je,
c'est une offense au Créateur, à Artémis, au
Maître des animaux, à Gaïa (selon les confessions religieuses) que de gaspiller leurs dons en les
laissant pourrir au milieu du
chemin. Je décidai alors de montrer à ma fiancée que les lapins, sous certaines
conditions (s'ils sont encore tièdes et si la voiture les a tout juste touchés),
peuvent être opportunément recyclés. Elle venait de Rome, épicentre de
l'urbanité (Rome = Urbs = la ville par définition). Je m'attendais ainsi aux
réactions écologiquement correctes d'une citadine. Elle me dit, en riant, "Tu devi essere pazzo" ("Toi tu es fou"). Mais
contrairement à mes prévisions elle apprécia l'idée.
J'avais l'habitude
de me lever un peu plus tard qu'elle. De temps en temps, sur la table de la
cuisine, je trouvais un lapereau qu'elle avait ramené pour moi, comme le font
les chats et autres prédateurs. Je le
vidais, je le dépouillais, je le découpais en morceaux et je le laissais tremper, pendant un moment, dans du vin rosé que nous achetions au
Puy-Sainte-Réparade, tout près.
Quelques herbes provençales plongées dans le bain aidaient à tirer ce
mets sauvage du côté du domestique. Je n'ajoutais pas trop de parfums parce que la viande du lapin de garenne,
tout naturellement, sent déjà le romarin, la sarriette et la lavande.
Nous
passâmes bien une saison, peut-être même deux, en charognards.
N. Si on ne veut
pas manger le lapin mort accidentellement, on peut toujours le naturaliser.
C'est encore une belle histoire personnelle. Charognards, nous le sommes tous un peu, quand nous ne tuons pas nous-mêmes les animaux que nous mangeons. Votre cuisine devait être savoureuse, puisque votre fiancée renouvelait vos approvisionnements. J'ai eu un couple de Fox terriers il y a 26 ans. La femelle faisait offrande au mâle des oiseaux qu'elle tuait. Mais il ne les cuisinait pas. Il n'en faisait même rien.
RépondreSupprimerTrès humains, vos Fox terriers (et un peu excentriques, tout de même)
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