dimanche 12 septembre 2021

L’inquiétante étrangeté 29. L’autochtonie en général

Diego Velasquez (1599-1660). Paysans des Préalpes vénitiennes célébrant l'ancestralité du vin Clinton

Quelques derniers mots sur la vigne archétypale.  Après vérification, elle n’était pas si archétypale que je le croyais. Et encore moins autochtone. Son ancestralité, pour reprendre l’heureuse formule d’Eric Hobsbawm et Terence Granger*, constituait un bel exemple d’invention de la tradition. Rien d’étonnant. Ici, dans les Alpes, on est accoutumé aux traditions inventées. Le vin des ancêtres, celui qui laisse sa marque rouge sur les verres vides, s’appelle Clinton (l’accent sur la dernière syllabe, typiquement vénitien, garantit son autochtonie). Dans l’imaginaire alpin ce vin « rustique », « modeste », parfaitement adapté à l’ethnostyle local, est consubstantiel à l’âme du montagnard. Il réconforte depuis la nuit des temps son corps et son esprit. 

Or, il suffit de songer au mot « Clinton »  avec un peu de recul pour saisir son ascendance transatlantique. Originaire de l'État de New York,  le Clinton fait partie de ces cépages américains introduits en Europe  au milieu du XIXème siècle, lorsque la phylloxera avait anéanti les variétés indigènes. Et pour le Baco c’est à peu près pareil. Obtenu à la Belle époque par le landais François Baco en croisant le cépage Folle-Blanche avec  Vitis riparia**, ce raisin est tout aussi typiquement alpin que le couscous.

Mais peu importe : il symbolise bien l’autochtonie (d'ici et d'ailleurs, l’autochtonie en général).  C’est tout ce qu’on lui demande.

* Eric Hobsbawm et Terence Granger ed. (1983). The Invention of Tradition. Cambridge University Press.

** Tiens, un autre François. Quant à Baco, ses liens de parenté  avec Bacchus sautent aux yeux.

 

 

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