samedi 17 septembre 2022

L’inquiétante étrangeté deuxième session 16. Chez les rats scélérats

 


Albrecht Dürer, Grande Touffe d'herbe (1503)

(Suite et fin. Pour le moment ou en général, on verra).

 

C’est en suivant les cours de Georges Ravis-Giordani, spécialiste du pastoralisme corse, que j’ai découvert la notion de « paix armée »*. Il s’agit du  drôle d’équilibre qui règne dans l’Île de beauté, assuré par une belligérance perpétuelle qui ne dépasse jamais certaines limites.  Dans un jardin tout le monde est interconnecté, c’est la première leçon de l’écologie. Tout le monde collabore mais, mine de rien, d’une façon ou d'une autre, tout le monde est en train de prédater son voisin. C’est une prédation joyeuse et communautaire. Pas de végétarisme chez les chats. Pas de véganisme chez les rats. Pas  de jaïnisme chez les oiseaux et les lézards. Et les herbivores prédatent également. Ils prédatent les herbes, comme leur nom l'indique. Petites moyennes et grandes, toutes ces créatures du Bon Dieu passent leur  temps à se bouffer mutuellement. Et elles ont toutes le droit d’être là, c’est leur territoire. « Moi je connais l’histoire de cet endroit », dit le laurier qui héberge le merle de mon père. « Et nous aussi », rétorquent les fourmis  qui ont élu demeure dans ses racines et qui commencent à bien faire. « Et nous, ajoutent les deux bouleaux que j’ai plantés avec mon frère, nous connaissons l’histoire de tout le monde ici, celle du geai qui est parti on ne va pas te dire où, celle de ce petit serpent noir que tu n’as pas évoqué et on se demande pourquoi,  celle du chat qui passe ici à 19h30 lorsque tu sors pour aller boire ton apéritif». « Et moi je la connais encore mieux, pourrait rappeler la vigne archétypale, puisque  j’étais déjà sur place  quand vous êtes arrivés».   Tous ces membres du collectif ont leurs droits sur le jardin, parce qu’ils connaissent ses histoires et ils les ont vécues. Ceux qui ne les connaissent pas, qui ne peuvent pas en parler, ont aussi leurs droits : les droits du lecteur.

 

*  Georges Ravis-Giordani a publié, entre autres, Bergers corses : les communautés villageoises du Niolu, Ajaccio, Albiana-Parc naturel régional de Corse, 2001.

1 commentaire:

  1. J’espère que vous reviendrez honorer le droit des lecteurs de ce feuilleton.

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