lundi 14 décembre 2020

La fin des croyances (remplacées par des vérités)

 

 Giovanni Canu, Ballo dell'argia

On commence souvent à faire de l’ethnologie charmés par le folklore, par les traditions populaires. Après on s ‘en éloigne de peur de passer pour des nostalgiques, des érudits locaux ringards et poussiéreux.  On aime bien étudier la pensée mythique, mais notamment si elle concerne les Grecs anciens, les Dogons ou les Nambikwara (c'est plus chic).  Cependant, même les croyances de chez nous, comme le rappelait Antonio Gramsci, avaient leur dignité. Elles  répondaient à une conception du monde cohérente, donnaient du sens à la réalité et s’interrogeaient sur son fonctionnement. Aujourd'hui, après avoir rempli leur rôle  pendant longtemps, ces croyances disparaissent par blocs, une après l’autre, comme des falaises englouties par la mer*.

J’y pensais en relisant ce passage de La danse de l’Argia** et je me disais :  d’ici peu, de ces questionnements fins et singuliers sur la condition humaine,  de ces réponses humbles et efficaces au mal de vivre, il ne restera plus aucune trace  :

 « L’argia erre dans les campagnes ; elle peut passer à côté de plusieurs personnes sans les attaquer ; elle frappe au hasard celui dont le “destin” est d’être touché par le malheur. La personne piquée “tient” l’argia ou bien “l’âme” de l’argia ou encore (…) son tempérament et ses différents penchants qu’elle lui a inoculés avec le venin ». (…) Les différentes argia et leurs identifications cérémonielles relèvent d’une typologie relativement constante : l’argia pizzina (petite fille), aime être bercée par les ninne-nanne, l’argia bagadìa (nubile), isposa (fiancée), cojada (mariée) ou collionada (séduite) apprécie les chants d’amour et peut rechercher pour la danse un partenaire qu’elle considère comme son fiancé. L’argia prentoxa (parturiente) nécessite la représentation d’un accouchement symbolique, l’argia fiuda (veuve) est en deuil et pleure la mort de son époux ; l’argia beccia ou nonnina (vieille), comme la veuve, se caractérise par une tendance à l’immobilité et à la torpeur à laquelle on peut répondre par l’enfournement thérapeutique ; l’argia martura (malade)  refuse la danse et peut apprécier les secousses d’une charrette ». *

* Remplacées par des croyances nouvelles, bien entendu, qui ne deviendront des "croyances" que plus tard. 

** Nous avons déjà évoqué cette étude le 8 décembre.  

*** Clara Gallini, La danse de l’Argia. Fête et guérison en Sardaigne, Paris, Verdier, 1988, p. 40

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire