Spelacchio
Dans un Occident postmoderne qui découvre enchanté ses soubassements animistes, le statut de « sujet » n'est pas réservé aux animaux (humains et non-humains). Même les arbres, aujourd'hui, retrouvent leur rang d'interlocuteurs. C’est le cas de Spelacchio, sapin devenu « légendaire » en quelques années, auquel je consacre le dernier chapitre de La langue des bois*.
En voici un extrait :
(…) Pour les célébrations de Noël de 2017 la mairie de Rome commande un sapin à installer dans la place Venise venant de la vallée de Fiemme, en province de Trente. Coût de l’opération : 50 000 euros. On s’aperçoit immédiatement qu’il n’est pas très en forme. Ses aiguilles tombent à grande vitesse laissant apparaître ses branches dégarnies. Des rumeurs, vite démenties, circulent : il aurait été empoisonné (pourquoi empoisonner un sapin de Noël ? Nul ne le sait). Virginia Raggi, maire de la capitale, le juge « simple et raffiné ». Les Romains ne partagent pas son avis et le baptisent « Spelacchio », à savoir Plumeau, ou Déplumé, à partir de l’adjectif spelacchiato, comme l’on dit d’un chat qui a perdu sa fourrure. Quelques jours avant Noël on déclare officiellement que « Spelacchio non ce l’ha fatta a sopravvivere », littéralement : « n’a pas réussi à survivre ». Il était déjà mort, bien évidemment, mais on considère son desséchement prématuré comme une seconde mort. Les experts se succèdent au chevet de Spelacchio. Après leur sombre diagnostic, même l’Assessorato all’Ambiente (le département de l’environnement) se résout à déclarer que le sapin, effectivement, est décédé. La presse internationale s’empare de l’histoire. The Guardian définit le sapin « mangy or baldy » en le comparant aussi, plus prosaïquement, à un « toilet brush ». Russia Today, fait de même. L’association des consommateurs (Codacons porte plainte contre la mairie et demande des dédommagements pour la « figuraccia internazionale » (la honte internationale). Pour consoler la population on installe une crèche artistique dans la place du Capitol mais cela ne suffit pas. Un administrateur propose, de remplacer la dépouille par une installation de comètes. Mais ici et là on commence à prendre la défense du Plumeau ». (op. cit., p. 241-242).
On se met à lui écrire. Et Spelacchio répond. (À suivre)
* « Nouveaux animismes : à quoi sert-il de personnifier les végétaux ? » in La langue des bois. L’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi, Paris Éditions du Muséum d’Histoire Naturelle, 2020.
Je vais m’empresser de lire ce que vous en dites.
RépondreSupprimerAu débotté (c’est la tendance), je dirais que nos penchants animistes peuvent aussi être vérifiables dans notre attachement à des objets, à des murs.. Ce n’est pas forcément un matérialisme grossier qui y est sous-jacent. Ce peut être une sensibilité aux particules élémentaires qui les sédimentent.
Le tamagotchi était peut-être une extrapolation technologique de ce fonds irréductible, supplanté je pense, par le téléphone « intelligent ».
Les composantes des objets les plus « artificiels » viennent des couches les plus profondes de notre planète et même des poussières d’étoiles.
Le besoin d’un doudou, ce que le tamagotchi matérialisait un peu froidement, est peut-être une des premières manifestations animistes, ou religieuses. L’objectif étant de rester relié.
Très juste, il ne faut pas voir les choses que du mauvais coté. J’ai la fâcheuse tendance à attirer l’attention sur les aspects négatifs du réel ( le verre à moitié vide …). C’est le cas d’un vieil article concernant précisément le tamagotchi (votre exemple m’inspire). Je l'avais appelé : « Les joies du taxinomiste : classer, reclasser, déclasser ». Je suis pessimiste mais, comme vous le voyez, je n’hésite pas à me faire de la publicité.
SupprimerUne jolie chanson reliée de Gérard Lenorman :
RépondreSupprimer« Quelque chose et moi ».
Une boucle est bouclée : je pense que c’est initialement votre article qui a fait sédimentation dans mon cerveau à trous.
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