mardi 22 décembre 2020

Une personne pas tout à fait comme les autres : le sapin de Noël (2)

 

L'apothéose de Spelacchio,  transformé en " Little baby home "  (sic) pour  l’allaitement et les soins corporels du bébé.

(Suite) Spelacchio répond via Internet.  Après quelques jours, son compte sur Twitter atteint les 2 000 inscrits et ce n'est que le début.  Parfois on parle en son  nom : « Spelacchio c’est moi »,  déclare  une follower française, « Foutez-moi la paix, je veux mourir dans la dignité »  réplique  un autre porte-parole du sapin. Parfois on s’adresse à lui : « Ciao Spelacchio, on t’a dit qu’ici à Rome il a neigé ? J’ai pensé beaucoup à toi, tu sais ? Tu te serais amusé beaucoup sous la neige ». Drôles d'internautes : s'agit-il de ventriloques? D'animistes? De ventriloques animistes?

Je cherche à interpréter cette construction collective dans les termes suivants :

« Qui est Spelacchio, ce morceau de bois qui, par enchantement, se met à parler comme Pinocchio ? C’est l’expression de notre désir que le monde, redevenu perméable et mystérieux, ne se réduise pas au scénario monodimensionnel des cosmologies matérialistes. C’est une projection de nous-mêmes en train de montrer notre compassion ou notre sarcasme. C’est l’« Autre », l’antagoniste imaginaire, réduit à l’état de « toilet brush » ou de porte-cotillons. En participant à son jeu — le jeu de l’ambiguïté ontologique — nous fusionnons avec les autres joueurs comme au cours d’une fête. Protégés par le collectif nous pouvons chanter en chœur la bonne nouvelle (« Le sapin est un des nôtres et nous l’aimons beaucoup »). Nous pouvons vilipender le vaincu (« Il est presque comme nous mais avec plein de défauts ». Nous pouvons nous émouvoir face à l’élan fraternel qui nous lie à des sapins (pelés, par surcroît). Et nous pouvons donner une issue socialement agréée à nos pulsions clastiques (...)*.

Inutile de rappeler que cette instrumentalisation des végétaux à des fins narcissiques (« Spelacchio c’est moi … ») se retrouve, renforcée,  dans nos rapports aux  animaux : l'animal comme prête-nom, l’animal comme prothèse.  

*« Nouveaux animismes : à quoi sert-il de personnifier les végétaux ? » in La langue des bois. L’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi, Paris Éditions du Muséum d’Histoire Naturelle, 2020, p. 246

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