Y avait-il des lauriers, dans le bois sacré évoqué par Frazer dans le Rameau d’or, à côté des chênes verts et du gui ? En tout cas, le geai qui s’était installé dans mon laurier et qui, vraisemblablement, avait délogé le merle qui y régnait, m’a rappelé l’histoire du roi du lac de Nemi, le Rex Nemorensis. Frazer décrit cette figure, qui remonte aux débuts de l’histoire romaine, dans les termes suivants :
« Dans le bosquet sacré se dressait un arbre spécial autour duquel, à toute heure du jour, voire aux heures avancées de la nuit, un être au lugubre visage faisait sa ronde. En main haute un glaive dégainé, il paraissait chercher sans répit, de ses yeux inquisiteurs, un ennemi prompt à l’attaquer. Le personnage tragique était à la fois prêtre et meurtrier, et celui qu’il guettait sans relâche devait tôt ou tard le mettre à mort lui-même, afin d’exercer la prêtrise à sa place. Telle était la loi du sanctuaire. Celui qui briguait le sacerdoce de Nemi n’entrait en office qu’après avoir tué son prédécesseur de sa main ; dès le meurtre perpétré, il occupait la fonction, jusqu’à l’heure où un autre, plus adroit ou plus vigoureux que lui, le mettait à mort à son tour.
En prolongeant le parallélisme dans une sorte de mise en abîme je me suis dit : « Au bout du compte, je suis à mon jardin ce que le Rex Némorensis est au bois sacré et ce que le geai est au laurier ». Je n'exagère pas. Chaque propriétaire d’un jardin, petit, moyen ou grand qu’il soit, est un démiurge. Son jardin est un microcosme dans lequel il fait la loi : il plante, il déplace, il arrache. Il protège, il contrôle, il punit … Il conserve aussi, et cherche à pérenniser le projet d’être-là qui lui a été transmis par ses prédécesseurs. Pour se motiver, il garde la mémoire du lieu avec la dévotion d'une vestale*. Il s’efforce aussi d’oublier que, tôt ou tard, il sera poussé en bas par quelqu’un de plus beau et de plus fort que lui **. Dans cette perspective, tout ce qui peut l’aider à s’enraciner devient précieux.
Ceci nous conduit à la deuxième partie de cette divagation estivale, indécemment autobiographique, consacrée, en alternance avec l'actualité, aux plantes de mon jardin (À suivre).
* Je parle du jardinier idéal-typique, mais il en existe d'autres modèles.
** Pour citer Alain Souchon : Quand je serai KO.
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