Des menaces planent sur ces objets de mémoire. L’entropie, bien sûr, processus naturel de dispersion, de mise en désordre. On a beau protéger ces pièces indispensables au maintien du « collectif », tôt ou tard elles ne seront que poussière. Mais dans l’attente, on s’y accroche.
- Tu avais un chien blanc, je m'en souviens. Tu lui faisais prendre des douches au rez de chaussée.
- Oui, le griffon. Ça puait horriblement.
- Non, ce n’était pas un griffon.
- Ah non ? Ben alors c’était le setter. Ça puait un peu moins*.
- Comment ils s’appelaient ?
- Ils s’appelaient pareil, mais il ne faudrait pas.
- Pourquoi ? Pour des questions de dressage ?
- Non, c’est que lorsqu’ils ont le même nom ils vont avoir le même destin.
Penser à ces deux chiens me donne envie de chercher des photos et de les montrer aux descendants de mon père et de ma mère: « Vous voyez ? Ça, c’est le premier Sam. Il faisait l’idiot mais il ne l’était pas. Une sorte de Bourville à poil dru. Et voici l’autre. Il avait les pattes en style Chippendale et aimait les pommes ».
J’ai une responsabilité : je suis le seul à détenir ce genre d’informations. Ça vaut aussi pour les vieilles photos de famille. « Qui est cette dame à côté de nonna ? »** Elle s’appelait Montaldi, elle venait de Turin ... ou par-là, Avigliana, Giaveno ... J’ai oublié son prénom. Son fils s’appelait Augusto.
Ce travail d’anamnèse me donne l’illusion de prolonger dans le temps non seulement le souvenir des deux Sam, de ma mère, et de la signora Montaldi, mais leur existence même. Bref de lutter contre l’entropie et contribuer à la perpétuation du collectif.
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