mardi 27 juillet 2021

L'inquiétante étrangeté 15. Un noyer déviant

Yuanmingyuan "Le jardin de la clarté parfaite" 1740 env. (action indirecte et négative).

Comme l’a si bien montré André-Georges Haudricourt, si les Orientaux cherchent à accompagner les inclinaisons naturelles du vivant  sans les altérer, les Occidentaux pratiquent l’ « action directe positive ». Positive veut dire qu’ils imposent leur loi,  ils forcent, coupent, encadrent … D'un côté l’acupuncture, qui rétablit des équilibres en douceur ...  de l'autre la chirurgie. 

Dans mes relations avec le  noyer j’ai été très occidental. Trop. Mais il a su résister. Au bout du compte j’étais content  que malgré toutes les tentatives de mise aux normes nous ayons réussi, lui et moi, à garder nos penchants. De temps en temps, sans trop y prêter attention, je surveillais le diamètre de son tronc. Un matin j’ai pensé : « Mince, l’ablation de la grosse branche va sans doute accélérer la croissance du tronc qui va bientôt dépasser le diamètre de mon crâne.  Ce n’est qu’une croyance, certes, mais il faudrait faire quelque chose, ne serait-ce que par précaution. Par exemple, planter un nouveau noyer ». Pour des raisons qui m’échappent,  un noyer poussait au fond du jardin dans un pot abandonné. Je l’ai confié à une vieille amie qui a un jardin bien plus grand que le mien en lui disant : « Lorsque tu veux, je viens le planter, ça me prendra cinq minutes ». Je lui ai même expliqué les raisons de mon « présent » : être présent, justement, être-là**. L’année suivante le noyer était toujours dans son pot sans qu’on m’autorise à le planter (« Oui, je veux bien, mais où ? Je dois demander à ma sœur et … »). L’année d’après aussi**. J’aurais voulu lui dire : « Mais tu ne te rends pas compte ? Tu es en train de me mettre en danger ! ». Mais ma fierté de naturaliste postmoderne, laïque et désenchanté, m’a contraint au silence***.

 

* André-Georges Haudricourt  « Domestication des animaux, culture des plantes et traitement d'autrui », L’Homme, 1962 2-1 pp. 40-50. Il évoque tout particulièrement le jardin chinois et ses liens avec le confucianisme. J'aime beaucoup cet article même si, à chaque fois que j'en parle, je me vois obligé de rappeler quelques contre-exemples (le communisme chinois dans ses rapports avec l'environnement en est un).

** Pas chez elle, être-là en général.

*** J’ai une théorie à ce propos.   

**** « Typique des cosmologies occidentales depuis Platon et Aristote, écrit Philippe Descola, le naturalisme produit un domaine ontologique spécifique, un lieu d’ordre ou de nécessité où rien n’advient sans une cause, que cette cause soit référée à l’instance transcendante ou qu’elle soit immanente à la texture du monde. Dans la mesure où le naturalisme est le principe directeur de notre propre cosmologie et qu’il imbibe notre sens commun et notre principe scientifique, il est devenu pour nous un présupposé en quelque sorte « naturel » qui structure notre épistémologie et en particulier notre perception des autres modes d’identification » (Source : Wikipédia – cf. Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005).

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